La transformation de l’Inde : de la roupie à la roupie numérique, une révolution des QR codes

Publié le 12 janvier 2023 à 14:35

Le 8 novembre 2016 restera une date clé dans l’histoire de l’Inde avec l’annonce choc du Premier ministre Narendra Modi :
« Les billets actuels de 500 et 1 000 roupies cesseront d’avoir cours légal à partir de minuit ce soir !!! Ils seront remplacés dès demain par de nouveaux billets de 500 et 2 000 roupies, portant l’effigie de Mahatma Gandhi. »

A real bombshell…

Un coup de massue pour des millions de détenteurs de ces billets, en particulier pour celles et ceux qui les conservaient cachés sous leur matelas…

La Reserve Bank of India stipula que les billets démonétisés pouvaient être déposés dans les banques dans un délai de 50 jours, soit jusqu’au 30 décembre 2016.
Les billets pouvaient être échangés à leur valeur faciale, mais dans des limites strictes : 4 000 roupies par personne du 8 au 13 novembre, puis 4 500 roupies du 14 au 17 novembre, avant d’être réduites à 2 000 roupies du 18 au 25 novembre. Enfin, l’échange des billets fut totalement stoppé le 25 novembre, alors même que le gouvernement avait auparavant déclaré que les volumes d’échange seraient augmentés après cette date.

Cela laissait très peu de temps pour rapporter l’argent à la banque… déclarer les revenus… bref, tout faire basculer vers la « transparence » — un mot qui, bien entendu, peine à exister en Inde.
L’Inde, reine de la corruption, du marchandage et des « arnaques bienveillantes », a du mal à embrasser un tel concept de transparence.


Réduire l’argent noir : un objectif non atteint

L’objectif de Narendra Modi était bien de réduire l’économie souterraine et, ce faisant, de freiner les activités illégales et le terrorisme.

Le résultat ne fut pas à la hauteur des attentes, malgré une mesure aussi radicale. Le gouvernement avait estimé que 5 000 milliards de roupies, soit environ 20 % des billets démonétisés, seraient définitivement retirés de la circulation.
Mais selon un rapport de la Reserve Bank of India publié en 2018, 99,3 % des billets démonétisés furent finalement retournés dans les banques — soit 15 300 milliards de roupies sur les 15 410 milliards retirés. Les billets non restitués ne représentaient qu’une valeur de 107,2 milliards de roupies.
Les analystes en ont conclu que cet effort extraordinaire n’avait pas permis d’éliminer l’argent noir de l’économie.

Pire encore, on estime qu’environ 1,5 million d’emplois ont été perdus à la suite de la chute des marchés boursiers (plus de 6 % le lendemain de l’annonce), entraînant une baisse de la production industrielle et de la croissance du PIB.


Et le chaos engendré (pour rester polie) ?

Un plafond quotidien de retrait aux distributeurs automatiques fut imposé :

  • 2 000 roupies par jour jusqu’au 14 novembre,

  • 2 500 roupies par jour jusqu’au 31 décembre,

  • puis 4 500 roupies par jour à partir du 1ᵉʳ janvier,

  • et enfin 10 000 roupies par jour à compter du 16 janvier 2017.

À partir du 17 novembre, les familles furent autorisées à retirer 250 000 roupies pour des dépenses liées aux mariages.
Les agriculteurs purent retirer 25 000 roupies par semaine en lien avec des prêts agricoles.

Les aéroports internationaux facilitèrent également le change pour les touristes étrangers et les voyageurs quittant le pays, mais dans la limite de 5 000 roupies par personne (à peine 60 €…).

Les stations-service, hôpitaux publics, guichets ferroviaires et aériens, laiteries, magasins de rationnement gouvernementaux et crématoriums furent autorisés à accepter les billets démonétisés jusqu’au 2 décembre 2016.

J’organisais alors un voyage à Bodhgaya entre fin décembre 2016 et début janvier 2017, et comme tout le monde, je me suis retrouvée dans les files interminables devant les distributeurs… chaque jour, puisque nous ne pouvions retirer que 4 500 roupies par carte et par jour ! Soit environ 50 € ! Autant dire que cela ne va pas bien loin.
J’ai dû jongler avec plusieurs cartes bancaires pour réussir à retirer suffisamment d’argent afin de payer hôtels, restaurants et transports… car en Inde, bien sûr, il est encore souvent difficile d’effectuer des virements ou de payer par carte.

Pour moi, ce ne fut « que » 18 jours de chaos, mais pour le peuple indien, ce furent des mois de souffrance.
Du 10 au 13 novembre, les retraits furent limités à 10 000 roupies par jour et 20 000 roupies par semaine par compte. Cette limite fut portée à 24 000 roupies par semaine à partir du 14 novembre 2016. Les restrictions sur les comptes courants et les découverts furent levées ultérieurement.

Le 20 février 2017, la RBI augmenta le plafond de retrait des comptes d’épargne à 50 000 roupies (contre 24 000 auparavant), et le 13 mars 2017, toutes les limites de retrait furent enfin supprimées.

Durant cette période, plus de 800 000 chauffeurs routiers furent affectés par la pénurie de liquidités, avec plus de 400 000 camions bloqués sur les principales autoroutes indiennes et des files d’attente interminables aux péages n’acceptant plus les billets démonétisés.

Sans parler des distributeurs constamment vides, parfois vandalisés par des citoyens désespérés… et des files d’attente si longues que certaines personnes y ont trouvé la mort, comme Vinod Pandey, un employé retraité de l’administration âgé de 69 ans, qui s’est effondré devant une agence de l’Union Bank of India à Sagar.


Un virage numérique favorisant l’inclusion financière

Dès 2016, on voyait déjà apparaître un peu partout les autocollants bleu et blanc PAYTM dans de nombreuses boutiques et échoppes.

La promotion des paiements numériques faisait partie des objectifs affichés de la démonétisation.

En novembre et décembre 2016, les paiements numériques ont explosé en raison de la pénurie de liquidités. Les transactions par carte de débit dans les points de vente ont doublé par rapport aux tendances précédentes.

Cette même année fut lancé le système UPI (Unified Payments Interface), un dispositif de paiement en temps réel permettant de transférer de l’argent directement d’un compte bancaire à un autre — autrement dit, des virements instantanés.

Aujourd’hui, en 2023, pas moins de 260 millions de personnes utilisent ce système en Inde, sur une population de 1,4 milliard d’habitants.

La pandémie a encore accéléré cette transition : en 2020, plus de 48 milliards de transactions numériques ont été réalisées ! Grâce à des forfaits mobiles proposés à des prix extrêmement bas, la majorité de la population possède désormais un téléphone.
Presque tout se paie via le mobile.

Cette inclusion financière — c’est-à-dire l’accès aux services financiers de base pour les populations peu ou pas bancarisées — est aujourd’hui largement répandue en Inde.

Digital India, accélérée par la pandémie

Les Indiens se tournent vers les services financiers numériques depuis déjà un certain temps. Cela s’explique en partie par l’augmentation du niveau de vie, l’amélioration de l’accès à Internet et des technologies plus abordables — mais aussi parce que le Premier ministre Narendra Modi a placé la transformation numérique au cœur de la politique gouvernementale.

Lancé en 2015, le programme « Digital India » vise une croissance économique plus rapide et plus inclusive, en numérisant les services publics et bancaires, tout en intégrant les masses de populations pauvres — en particulier dans les zones rurales — à l’économie formelle grâce à des investissements technologiques.

Mais c’est la pandémie qui a véritablement accéléré ce basculement. Les confinements ont contraint des millions de personnes à acheter nourriture et médicaments via des applications mobiles, faute de pouvoir sortir de chez elles. Les distributeurs automatiques se sont retrouvés à court de liquidités — et, de toute façon, les gens ne souhaitaient plus manipuler d’argent liquide par crainte de contracter le virus.


Et nous, dans tout ça ?

Ah oui… nous. Soyons honnêtes : nous vivons peut-être nos dernières heures telles que nous les connaissons, à moins d’un sursaut soudain de lucidité. Le monde change — vite.
Pour moi, chaque voyage est l’occasion d’observer concrètement l’impact d’une révolution des QR codes de plus en plus présente et pressante. L’Inde s’y engouffre sans hésitation, dans une direction qui nous laisse en arrière. Tandis que les vaches sacrées règnent encore, que le code de la route s’exprime dans une symphonie de klaxons, que les déchets recouvrent toujours les rues sans honte ni culpabilité — Digital India va pourtant nous clouer au sol. C’est une évidence.

L’Indien est, par nature, adaptable. La rudesse de la vie dès l’enfance forge une capacité permanente à saisir ce qui doit l’être. Chaque opportunité devient incontournable. L’esprit reste en alerte, prêt à entrer dans l’inconnu, à accomplir l’inattendu, voire l’impossible.

Nous, à l’inverse, avons grandi dans un cocon — dans le « pays des Bisounours ». Tout est cadré, réglementé, amorti. La moindre vague déclenche dix séances de thérapie. Le moule social devient une coquille. Regarder au-delà semble impossible. L’esprit s’enracine alors dans ce confort fabriqué, épuisant peu à peu notre capacité d’adaptation.

L’Inde a fait le pari du numérique, et force est de constater qu’elle est en train d’entrer dans le cercle des leaders. Les sceptiques et les éternels râleurs diront :
« Oui, mais regarde… les routes sont mauvaises, les maisons tombent en ruine, l’organisation est chaotique… »

Je ne suis pas d’accord.
Le plus important, c’est ce qui va vite. Et ce qui va vite, c’est le numérique. C’est précisément là que l’Inde construit ses fondations. À partir de là, les investissements et le développement s’étendront.

Lors de mon dernier voyage, fin décembre 2022, j’ai été témoin du lancement de l’étape suivante : la révolution physique.

Ce sera le sujet d’un prochain article sur ce blog. Les routes se tracent, redessinent les campagnes, traversent les villages, survolent les villes… Cette transformation matérielle progressera rapidement, selon moi, en deux temps :
d’abord une phase immédiate et rapide pour désengorger et connecter les territoires ; puis une révolution qui viendra se superposer — peut-être des routes solaires rechargeant véhicules et rickshaws ?

Partout désormais, absolument partout, les panneaux « Digital India 2015 » ont laissé place à « ONE EARTH – ONE FAMILY – ONE FUTURE », en préparation du prochain G20.

Alors, quelle est la vision de Narendra Modi à travers ce nouveau prisme ?

Avec Incredible India, tout est possible.
Absolument tout.

Si vous nous rejoignez lors de nos voyages, vous comprendrez toutes les strates contenues dans cette dernière phrase.

D’ici là — prenez soin de vous.
Et souvenez-vous : ne prenez rien pour acquis, car le monde change, et les équilibres du monde changent avec lui.

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